J'irai cracher sur ma tombe... (FIN)
Publié le 6 mai 2025
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Dernier épisode de :
En attendant, nous poireautions en grignotant des petits fours arrosés de champagne tiède. Le crématoire, nous informait-on, n’avait pas encore atteint la température idoine. Certains tripotaient leur portable, mais le plus grand nombre persistaient à m’abreuver de banalités (quand ce n’était pas des mensonges éhontés !) tandis que ma femme s’était éclipsée dans un salon adjacent en compagnie du curé et de deux enfants de chœur.
Mon cadavre, n’en parlons pas ! Ce salaud se prélassait dans sa fausse bière, tiré à quatre épingles, un sourire narquois aux lèvres, débarrassé de toute contrainte, libre de ne plus faire de courbettes, de ne plus répondre au bavardage insipide des autres. Vanité, vanité !
Apparences, emphase, bouffissure de l’ego. L’univers entier n’était que le crâne d’un géant grotesque dont les vers avaient rongé intégralement la cervelle, réduisant toute sa soi-disant intelligence à une bouillie d’acides aminés.
Enfin, leur damnée chaudière parut fonctionner comme il faut et le cercueil s’ébranla (avec quelle lenteur exaspérante !) sur son tapis roulant. Le prêtre revint en courant, le rouge au front. Titine, le chemisier reboutonné de travers, suivait sans se presser. L’un des enfants de chœur avait omis de remonter sa braguette, mais tout le monde n’avait d’yeux que pour les quatre planches renfermant le bout de viande faisandée que j’avais été dans une autre existence.
Adieu, crétin ! songeai-je. On peut dire que tu m’auras fait suer avec tes rages de dents, ton lumbago et tes sempiternelles rhinites. À propos de suer, une chaleur infernale régnait tout à coup dans le salon. Je l’attribuai aux portes du crématoire qui venaient de coulisser pour laisser le passage à la bière. Un double vitrage et cinq bons mètres nous séparaient mais…
Ma femme me prit affectueusement le bras.
« Ça va, mon Didou ? chuchota-t-elle dans mon micro droit. Tu m’as l’air tout chose…
— La vie est si absurde, rauquai-je avec amertume.
— Pauvre chéri !
— Nous ne sommes que néant, absence et vacuité.
— Va quoi ?
— Et puis quelle étuve ici ! On crève littéralement de chaud.
— Tu trouves ? Moi, au contraire, me glissa-t-elle, l’œil égrillard, j’ai comme une envie que tu me réchauffes… Tu me referas le chariot élévateur en rentrant ? »
Sans daigner répondre à cette salope, j’interrogeai les gens autour de moi. Aucun ne jugeait la température désagréable. Tous, au contraire, paraissaient ravis d’être là, à se gaver de miniquiches en jacassant à n’en plus finir. Moi seul sentait peiner mon ventilo et fondre les soudures de mes circuits intégrés tandis que, de l’autre côté de la vitre, centimètre après centimètres, ma dépouille s’engageait tête la première dans la gueule ardente de l’au-delà.
C’est alors que je compris.
« ARRÊTEZ TOUT ! » hurlai-je en poussant à fond mon synthétiseur vocal.
Ce con de technicien avait oublié de débrancher la wifi me reliant à mon ancien cerveau.
♥ ♥
♥
FIN...
En attendant, nous poireautions en grignotant des petits fours arrosés de champagne tiède. Le crématoire, nous informait-on, n’avait pas encore atteint la température idoine. Certains tripotaient leur portable, mais le plus grand nombre persistaient à m’abreuver de banalités (quand ce n’était pas des mensonges éhontés !) tandis que ma femme s’était éclipsée dans un salon adjacent en compagnie du curé et de deux enfants de chœur.
Mon cadavre, n’en parlons pas ! Ce salaud se prélassait dans sa fausse bière, tiré à quatre épingles, un sourire narquois aux lèvres, débarrassé de toute contrainte, libre de ne plus faire de courbettes, de ne plus répondre au bavardage insipide des autres. Vanité, vanité !
Apparences, emphase, bouffissure de l’ego. L’univers entier n’était que le crâne d’un géant grotesque dont les vers avaient rongé intégralement la cervelle, réduisant toute sa soi-disant intelligence à une bouillie d’acides aminés.
Enfin, leur damnée chaudière parut fonctionner comme il faut et le cercueil s’ébranla (avec quelle lenteur exaspérante !) sur son tapis roulant. Le prêtre revint en courant, le rouge au front. Titine, le chemisier reboutonné de travers, suivait sans se presser. L’un des enfants de chœur avait omis de remonter sa braguette, mais tout le monde n’avait d’yeux que pour les quatre planches renfermant le bout de viande faisandée que j’avais été dans une autre existence.
Adieu, crétin ! songeai-je. On peut dire que tu m’auras fait suer avec tes rages de dents, ton lumbago et tes sempiternelles rhinites. À propos de suer, une chaleur infernale régnait tout à coup dans le salon. Je l’attribuai aux portes du crématoire qui venaient de coulisser pour laisser le passage à la bière. Un double vitrage et cinq bons mètres nous séparaient mais…
Ma femme me prit affectueusement le bras.
« Ça va, mon Didou ? chuchota-t-elle dans mon micro droit. Tu m’as l’air tout chose…
— La vie est si absurde, rauquai-je avec amertume.
— Pauvre chéri !
— Nous ne sommes que néant, absence et vacuité.
— Va quoi ?
— Et puis quelle étuve ici ! On crève littéralement de chaud.
— Tu trouves ? Moi, au contraire, me glissa-t-elle, l’œil égrillard, j’ai comme une envie que tu me réchauffes… Tu me referas le chariot élévateur en rentrant ? »
Sans daigner répondre à cette salope, j’interrogeai les gens autour de moi. Aucun ne jugeait la température désagréable. Tous, au contraire, paraissaient ravis d’être là, à se gaver de miniquiches en jacassant à n’en plus finir. Moi seul sentait peiner mon ventilo et fondre les soudures de mes circuits intégrés tandis que, de l’autre côté de la vitre, centimètre après centimètres, ma dépouille s’engageait tête la première dans la gueule ardente de l’au-delà.
C’est alors que je compris.
« ARRÊTEZ TOUT ! » hurlai-je en poussant à fond mon synthétiseur vocal.
Ce con de technicien avait oublié de débrancher la wifi me reliant à mon ancien cerveau.
♥ ♥
♥
FIN...