Troisième et avant-dernier épisode de la nouvelle de Jocelyn Witz...

J'irai cracher sur ma tombe... (3)

Troisième et avant-dernier épisode de la nouvelle de Jocelyn Witz...

Ecrit par l'Ordissinaute A. Le Sténanais



Ma dépouille mortelle reposait dans une bière en matériau combustible, vêtue de ce qui avait été mon plus élégant costume, embaumée et parfumée comme une cocotte. Voisins, amis, ex-collègues de bureau, anciennes maîtresses, cousins éloignés, nièces et filleuls de tous âges jouaient des coudes à travers le salon funéraire exigu pour me serrer la pince en me regardant droit dans les capteurs optiques. Impassible, j’affichais la triste mine de circonstance (téléchargée sur internet).
« Courage », murmuraient-ils.
Ou bien : « Soyez fort ! » (Mes muscles hydrauliques peuvent soulever 150 kg rien qu’avec une seule pince, coco, étais-je tenté de leur renvoyer dans les gencives.)
Un quelconque parent du côté de Titine se crut aussi en devoir de faire l’éloge du disparu : « C’était un sacré bonhomme !
— N’exagérons rien, ne pus-je m’empêcher de lui rétorquer tandis que mon haut-parleur y allait d’un rire caustique. Presque toutes ses dents étaient fausses, de même que l’une de ses hanches. Il souffrait de rhumatismes, d’énurésie, d’eczéma, d’hypertension, de diabète, de cholestérol, de quasi-surdité et j’en passe. Quant à ses performances sexuelles, elles n’avaient jamais été bien pharamineuses. Tandis que maintenant…
— Y a pas photo », termina ma femme en caressant amoureusement ma carrosserie.
Juste avant de nous rendre au crématorium, mettant à profit toutes les ressources de l’algorithme érotique inclus dans mes banques de données, je l’avais sabrée jusqu’à plus soif, dans l’espoir (vain, comme j’allais le constater) qu’elle n’irait pas tenter de séduire l’un ou l’autre des invités à la cérémonie.
Après avoir contemplé mon cadavre sous toutes les coutures et renchéri à qui mieux mieux sur sa fière allure (« on jurerait qu’il va se lever pour danser la zumba ! » etc.), nous nous retranchâmes tous derrière une vaste paroi vitrée. J’avais hâte que nous en terminions.

Aucune urgence, pourtant, ne m’attendait. En prenant soin de changer régulièrement mes pièces usées et de mettre à jour mon antivirus, j’avais devant moi au bas mot des milliers d’années d’existence. Simplement, tous ces salamalecs plus ou moins hypocrites me débectaient soudain. Non, au cours de ma vie organique je ne m’étais montré ni particulièrement brave, ni particulièrement sympathique. Un animal parmi d’autres, suivant ses instincts, traçant son chemin à travers la jungle de ses semblables. Le sentiment de néant intérieur ne me quittait plus, à tel point que je me demandai soudain s’il n’y avait pas un défaut dans mon bloc conscience.
Une fuite, peut-être ? Un bug faisant que mon esprit se vidait peu à peu de toute foi en l’Homme et sa Destinée ? Il faudrait que j’éclaircisse la question en appelant NewBody dès mon retour à la maison.

J’étais, de toute manière, sous garantie. Si d’aventure une intervention s’avérait nécessaire, elle ne me coûterait pas un fifrelin.

[...]