J'irai cracher sur ma tombe (1)
Publié le 1 mai 2025
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J’irai cracher sur ma tombe
À mon réveil, déchirant mon emballage protecteur, je bondis joyeusement hors de ma caisse. Je me sentais rempli d’énergie. Sous le carbure de silicium de ma cage thoracique bourdonnaient toute sorte de dispositifs que j’avais hâte de mettre à contribution. Mon visage de rhodoïd ivoire comportait un écran permettant d’afficher un ample choix d’émoticônes, voire la frimousse d’acteurs célèbres si le caprice m’en prenait. Mes articulations bien graissées pliaient en émettant d’aimables soupirs. Mon sexe de polyéthylène aux proportions et à la texture modulables (soucieux de ne pas encourager la gourmandise chez mes partenaires amoureux, j’avais toutefois décliné l’option « Goût fraise ») pendouillait sagement, prêt à se dresser au garde-à-vous à la moindre impulsion cybernétique que je lui enverrais. Conformément aux promesses du catalogue de vente, mes capteurs enregistraient et me restituaient tout ce qui se passait autour de moi dans la chambre, du passage d’un moucheron (Drosophila melanogaster, 0,071 mg, environ 50.000 battements d’ailes par minute, 12 km/h en vitesse de pointe) jusqu’aux gloussements excités de Titine, ma femme (Homo grosso modo sapiens, 87,2 kg, 105-85-110, ronflements de 90 dB en phase de sommeil profond), en passant, hélas ! par le sourire commercial et le navrant blabla appris par cœur du technicien que NewBody avait dépêché à notre domicile pour effectuer le transfert. Il s’agissait d’un jeune maigrichon frais émoulu du lycée professionnel, récemment embauché par la boîte, encore perclus d’acné, d’espérances vagues et d’onanisme compulsif. Son appareil dentaire n’en finissait pas de lui aligner les canines.
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