Suite de notre feuilleton à partir d'une nouvelle de Dominique Mausservey..."Jeudi" du recueil "Mensonges Exquis"...

Jeudi (...)

Suite de notre feuilleton à partir d'une nouvelle de Dominique Mausservey..."Jeudi" du recueil "Mensonges Exquis"...

Ecrit par l'Ordissinaute Les 3 A...

JEUDI...

  Victor pénétra dans le parc réservé à la basse-cour où trônait un vieux marronnier. Il se dirigea d’un pas décidé vers le poulailler situé au centre de l’enclos. Fier de sa crête rouge et de son plumage  multicolore, un coq montait la garde. A l'approche de l’intrus, il se  redressa et poussa son chant retentissant. Trop absorbé par son activité aquatique, un canard barbotait dans une minuscule mare, ignorait Victor et continuait les clapotis avec son bec au ras de d’eau.

Victor tira la porte qui fermait le local où couvait Cadette, une poule  rousse. Quelques-unes de ses congénères trouvaient refuge dans cet abri. Le canard préférait vivre dans sa pataugeoire et le coq passait ses  nuits, perché sur une branche du marronnier : un emplacement en hauteur, digne de son rang. Victor entra, accueilli par une forte odeur de  fientes et par la chaleur du nid. Il avança avec solennité et dit :
- Bonjour Cadette !

Elle avait confiance en lui car il était devenu un habitué du lieu. Il  la souleva de côté, elle se laissa faire. Il ne remarqua rien de  particulier et soupira longuement :

- Pfffffff  !!!

Il la reposa avec délicatesse puis, croisa les bras, fixa l'animal et constata :
- C'est peut-être pour jeudi mais toi, Cadette, tu ne connais pas les jours...

Désabusé, Victor s’en retourna vers le logement, rentra dans la cuisine, la bouche close et se laissa tomber sur une chaise. Ravi par le retour  de son jeune maître, Moutardo sauta  sur ses genoux, reçut une caresse  moins affectueuse que d'ordinaire mais ronronna tout de même. Charline  dévisagea son fils porteur de toute la misère du monde et posa la  question dont elle connaissait déjà la réponse :
- Alors ?
- Rien. 
- J't'ai dit jeudi et on n'est que mardi....

Victor n'ajouta rien aux propos maternels. Il réfléchit et réalisa que  de mardi à jeudi, il y avait encore deux jours. Deux jours d'attente.
Deux jours à se morfondre.…. Comment maman pouvait-elle être certaine  que c'était pour jeudi ? Il ne pouvait résoudre cette énigme. Alors, de  dépit, il poussa Moutardo qui atterrit sur le sol et montra sa  désapprobation en lui tournant le dos.

Assis derrière son pupitre, Victor pensait à Cadette et à jeudi  prochain.  Il s'ennuyait et, depuis une semaine, n'appréciait plus les  cours dispensés par l'enseignante. Ce jeu lui paraissait plus important  que l’école et le CMI. L’institutrice, madame Vitronas était sévère  malgré son visage angélique. Elle portait de petites lunettes rondes sur un nez fin. Ses longs cheveux blonds ressemblaient au soleil mais  lorsqu'elle comprimait ses mâchoires, les écoliers voyaient  uniquement son  visage empourpré et tous redoutaient sa colère. Ce matin, elle  remarqua que Victor était distrait. Un coude sur son pupitre et les yeux fixant le plafond, il mordillait son stylo et répétait d’une voix quasi inaudible :

- Jeudi... Jeudi... Jeudi.... Jeudi... Jeudi...

Furieuse, madame Vironas se contint un instant, se pencha au plus près de son élève songeur, chuchota son prénom puis s'écria :

- Victor, il est interdit de rêver en classe.

Il  sursauta, lâcha son Bic et fixa la maîtresse. Il ne l'avait jamais  vue d'aussi prés. Il décela, malgré lui, une moustache blonde et  duveteuse qu'il compara, l'espace d’une seconde, avec celle de mamie  Ginette, brune donc plus visible et disgracieuse. Il bredouilla une  excuse et rectifia sa position.  Il s'appliqua durant le cours de mathématiques car il désirait savoir compter aussi bien que Charline.Madame  Vitronas l'interrogea :
Combien font 5 fois 9 ?

Très vite et sans prononcer le moindre mot, il modifia la question:
« Combien coûtent 5 sacs de blé pour nourrir Cadette alors qu'un sac vaut 9 euros?»
La solution lui apparut rapidement et il lança avec confiance :

-  45 m'dame

Elle le félicita puis poursuivit avec un problème plus compliqué.
En fin de matinée, Victor s’en retourna à la maison pour déjeuner. En chemin, il calcula combien de semaines équivalaient à 21 jours.
Puisqu’il ne parvenait pas à résoudre cette énigme, il grogna :
- Ça sert à rien que je compte car je n’sais pas quand maman a mis les œufs sous la poule.

Victor se sentait mis à l’écart de ce bonheur peu commun, pourtant du  haut de ses dix ans, il estimait faire partie des grands. Parvenu près  de la demeure maternelle, il courut vers Cadette.
Après avoir effectué le même rituel, il obtint la même désillusion. Il quitta la poule, lança un dernier regard sur elle et soupira :

- M'man a p't-être raison...

Il pensait à jeudi, une date trop éloignée à son goût. Mercredi, il  n'allait pas à l'école et le lendemain, ils arriveraient alors que  Victor serait en classe.

- J'ai pas de chance, jugea-t-il.

Il traversa l’enclos, salua le canard mais ne porta aucune considération au coq trop prétentieux.


[...] À suivre...

Le premier épisode lu par Alain L. ici: